Responsabilité juridique dans les projets de réemploi : l’Atelier des Experts fait le point
Cet article a été rédigé sur base du Webinaire et du support fournis par le Cabinet d’avocats Lydian.
Les informations de cet article concernent uniquement le projet de la coopérative immobilière sociale Les Tournières. Elles ne doivent être généralisées et doivent être lues avec discernement, en tenant compte du contexte spécifique du projet.
Dans le cadre de l’Atelier des Experts, un webinaire a été organisé ce 24 juin dernier autour de la question de la responsabilité juridique dans les projets de réemploi. Cette question a été explorée lors d’une demande particulière provenant de la coopérative immobilière sociale Les Tournières, dans le cadre d’un projet de mise en œuvre d’une charpente en bois de réemploi.
Le cabinet d’avocats Lydian a été sélectionné pour la thématique « Juridique » de l’Atelier des Experts. Lors de ce webinaire, ils ont donc apporté un éclairage sur la responsabilité des parties prenantes dans la mise en œuvre d’éléments structurels de réemploi.
Un peu de contexte…
Ce projet a deux particularités, la première étant qu’il s’agit d’un chantier participatif encadré par des professionnels, impliquant des bénévoles et des acteurs spécialisés. La deuxième étant l’utilisation de matériaux de réemploi.
Il s’agit d’un projet éco-responsable durant lequel une charpente en bois à partir de poutres en lamellé-collé de réemploi, issues de la déconstruction d’un garage au Luxembourg, sera réalisée. À ce projet seront intégrés des éléments structurels de seconde main dans un cadre sécurisé, hors des circuits classiques de la construction. Les responsabilités seront coordonnées et les intervenants sur le chantier ne seront pas moins de 10.
Alors, quelles sont les responsabilités de ces différents acteurs eu égard de l’utilisation de ces matériaux de réemploi ?
Quels sont les différents rôles des acteurs impliqués dans ce chantier spécifique
Le maître d’ouvrage
Cet acteur est tenu de respecter trois obligations principales telles que permettre l’exécution de l’ouvrage, la réception des travaux lorsque ceux-ci sont achevés, et le règlement du prix.
Dans un contexte de réemploi, le maître d’ouvrage doit accorder une attention particulière à certains aspects, notamment à son obligation d’entretien de l’ouvrage après sa réception, ainsi qu’aux situations d’immixtion dans la conception ou l’exécution des travaux :
- Lorsque le maître d’ouvrage impose l’utilisation de matériaux de réemploi présentant des défauts ou des techniques de construction contraintes aux normes en vigueur ou aux règles de l’art, il appartient à l’architecte et à l’entrepreneur d’émettre des réserves expresses et de demander à être déchargés de leur responsabilité.
- Si le maître d’ouvrage a été clairement informé par ces intervenants des risques liés à ses choix, il en assume seul les conséquences, tant sur le plan juridique que technique.
L’architecte
L’architecte, quant à lui, a un devoir de conseil et d’assistance envers le maître d’ouvrage. Ses deux missions principales sont : la conception de l’ouvrage et le contrôle de l’exécution des travaux.
En matière de réemploi, l’architecte doit faire preuve d’une vigilance particulière dans le choix des matériaux, car sa responsabilité peut être engagée si ceux-ci se révèlent inadaptés à l’ouvrage ou à son usage prévu. Il a, à ce titre, un devoir accru de renseignement pour tout matériau dont il ne maîtrise pas suffisamment les caractéristiques techniques. Il lui appartient également de mettre en garde le maître d’ouvrage sur tout risque ou inconvénient pouvant découler de l’utilisation du matériau imposé.
L’entrepreneur
L’entrepreneur, de son côté, a un devoir d’informations et de conseil envers le maître d’ouvrage. Il est tenu d’exécuter l’ouvrage en respectant :
- les spécifications contractuelles,
- les plans établis,
- le cahier des charges,
- les instructions données par l’architecte ou le maître d’ouvrage.
Lors des travaux, il doit utiliser les matériaux spécifiquement imposés dans le respect des normes techniques et des règles de l’art.
L’entrepreneur est tenu d’utiliser des matériaux exempts de vices, car il engage sa responsabilité quant à leur qualité. Il sera particulièrement vigilant à cette obligation en matière de réemploi. Toutefois, dans tous les cas, l’entrepreneur ne pourra être tenu responsable en cas de vices fonctionnels ou d’ignorance invincible du vice.
L’entrepreneur a l’obligation de s’informer sur les méthodes d’exécution qu’il envisage de mettre en œuvre, ainsi que sur les propriétés des matériaux qu’il sera amené à utiliser.
Lorsque le maitre d’ouvrage s’immisce dans la conception et impose une solution technique inappropriée, l’entrepreneur doit émettre des réserves expresses et en conserver la preuve afin de se prémunir contre toute responsabilité future.
Par ailleurs, une obligation de contrôle réciproque existe entre l’entrepreneur et l’architecte. Ainsi, l’entrepreneur doit signaler toute erreur de conception qu’il pourrait constater et qui serait imputable à l’architecte, tout en orientant le maître d’ouvrage dans ses choix techniques, en particulier pour ce qui concerne les matériaux.
Le bureau d’études
En général, l’ingénieur ou le bureau d’études intervient pour des missions ciblées, portant sur des analyses techniques complexes, notamment sur la stabilité des structures ou la mise en œuvre de techniques spéciales.
Les prestations de l’ingénieur-conseil peuvent aller d’un simple avis technique à une étude approfondie. L’activité de l’ingénieur est soumise au droit commun des obligations en l’absence de règlementation particulière en la matière, ce qui signifie que ses missions dépendent exclusivement du contrat conclu librement entre les parties.
La responsabilité de l’ingénieur est donc limitée aux missions qui lui sont confiées :
– une responsabilité contractuelle, concernant ses obligations de conseil, de conception et de contrôle,
– une responsabilité décennale lorsque des défauts graves menaçant la stabilité ou la solidité du bâtiment résultent de ses manquements, ou fondée sur le droit commun.
Concernant un matériau de réemploi, plusieurs questions sont donc à se poser :
- Quelle a été la mission exacte du bureau d’étude vis-à-vis des matériaux de réemploi ?
- Avec qui le bureau d’étude a contracté (maître de l’ouvrage, entrepreneur, architecte) ?
- Quelle obligation spécifique a été contractée ?
- Quelle est l’étendue de son devoir d’information ?
Le bureau de contrôle technique
Le bureau de contrôle technique peut voir sa responsabilité engagée si des fautes ont été commises et qu’elles sont à l’origine de vices graves mettant en péril la stabilité ou la solidité de la construction.
Le bureau se doit de contrôler le respect des règles de l’art dans les opérations de construction, notamment s’il omet de détecter ou de signaler des défauts qui affectent l’ouvrage. Ce manquement contractuel, s’il est en lien causal avec le dommage, peut entraîner la responsabilité du bureau de contrôle technique.
Comment sont partagées les responsabilités ?
Le principe est simple : chacun n’est responsable que de ses propres fautes. Autrement dit, un vice ou un défaut ne peut engager la responsabilité décennale ou de droit commun uniquement si ceux-ci sont le résultat d’un manquement contractuel de la part de l’intervenant, c’est-à-dire d’un manquement dans l’exécution de la mission qui lui a été confiée par le contrat.
A moins qu’une clause contractuelle le prévoie, il n’y a pas de solidarité spécifique entre les intervenants, ils ne peuvent être tenus solidairement responsables.
Lorsqu’un dommage unique résulte de leurs fautes concurrentes et que la faute de l’un n’aurait pas suffi, à elle seule, à causer le préjudice, les intervenants peuvent être condamnés in solidum.
En cas de désordre, une évaluation des responsabilités de chaque intervenant sera réalisée. Il est donc essentiel de définir précisément les missions contractuelles.
Le juge peut également appliquer le principe de contrôle réciproque des fautes, permettant alors d’imputer à plusieurs intervenants un même défaut à l’origine d’un unique désordre affectant l’ouvrage. Il peut aussi tenir compte de l’immixtion du maître de l’ouvrage dans l’analyse des responsabilités si, par exemple, le maître d’ouvrage impose l’usage de matériaux défectueux ou de procédés non conformes aux normes ou aux règles de l’art. Dans ce cas, l’architecte et l’entrepreneur doivent formuler des réserves explicites et obtenir une décharge formelle de responsabilité.
Responsabilités liées à l’utilisation de matériaux de réemploi
Lorsqu’un vice apparaît sur un produit de construction mis en œuvre, quatre origines principales peuvent être distinguées :
- Un vice intrinsèque au matériau lui-même,
- Un vice fonctionnel, qui signifie qu’il n’a pas été correctement prescrit en fonction de son environnement, son usage ou sa destination,
- Un vice lié à une mise en œuvre incorrecte,
- Un vice résultant d’une mauvaise utilisation ou d’un défaut d’entretien.
Dans le cas où le vice est intrinsèque au matériau…
En principe, l’architecte et/ou le bureau d’étude n’a pas de responsabilité.
L’entrepreneur, lui, a pour obligation de s’assurer que les matériaux mis en œuvre sont exempts de vices.
Le maitre d’ouvrage, quant à lui, a une responsabilité potentielle en cas d’immixtion.
Le vendeur est tenu par la garantie de vices cachés, tandis que le fabricant engage sa responsabilité du fait des produits défectueux.
Si le vice est fonctionnel…
Dans ce cas, la responsabilité de l’architecte ou du bureau d’études peut être mise en cause pour faute de conception.
Ici encore, le maître d’ouvrage a une responsabilité potentielle en cas d’immixtion.
Quant à l’entrepreneur, il engage la sienne s’il ne suit pas les recommandations de l’architecte ou s’il manque à son devoir de conseil et de réaction face à des manquements évidents de l’architecte ou du maître d’ouvrage dans le choix des matériaux.
Concernant le vendeur, sa responsabilité peut être engagée dans le cas où il avait connaissance de la destination du produit et du résultat escompté.
Mise en œuvre incorrecte ou mauvais usage du matériau
Si le vice est dû à une mise en œuvre incorrecte, l’entrepreneur et l’architecte seront tenus pour responsables pour défaut de contrôle.
Encore une fois, le maître d’ouvrage a une responsabilité potentielle en cas d’immixtion.
Dans certains cas, notamment s’ils ont été consultés par rapport aux conditions de mise en œuvre, la responsabilité du fabricant ou du vendeur peut être engagée.
Si le vice est dû à une mauvaise utilisation ou un mauvais entretien du matériau, la responsabilité engagée sera celle du maître d’ouvrage ou de l’utilisateur final. Et, dans tous les cas, le fabricant a une obligation de conseil.
Particularités en matière de réemploi
La responsabilité du fabricant : il peut être difficile d’engager sa responsabilité lorsque le matériau n’est plus utilisé conformément à l’affectation prévue lors de sa mise sur le marché.
La responsabilité du vendeur : il peut être tenu responsable si le matériau présente un défaut caché, mais il peut essayer de s’en défendre en disant qu’il ne garantit pas ses performances techniques.
La responsabilité du maître d’ouvrage : il peut être plus facilement responsable s’il impose l’utilisation d’un matériau précis.